En tant qu’urbanistes et architectes, les évènements de ces derniers mois doivent nous réinterroger sur notre pratique et notre vision de la ville. Au-delà de l’urgence environnementale et climatique qui nous attend, nos modèles urbains doivent également répondre à une crise sanitaire inédite et une crise économique à venir.

« Nos villes manquent de « vide », de respiration, de confort, de flore (et donc de faune), d’adaptabilité »

A la sortie du confinement, le constat est sans appel. Nos logements manquent de générosité, d’accès à un espace extérieur, de flexibilité. Nos villes manquent de « vide », de respiration, de confort, de flore (et donc de faune), d’adaptabilité. Bref la ville telle que nous la connaissons et la pensons manque cruellement de résilience.
Les fonctions « habiter » et « travailler » sont plus que jamais étroitement liées et la crise sanitaire n’a fait que renforcer les tendances préexistantes comme le télétravail et mettre en évidence les limites du modèle « open-space » face aux mesures barrières et distanciations sociales. Nous allons devoir repenser nos modèles d’organisation du travail et nos logements.

Nos logements n’ont plus vocation à répondre uniquement à un usage résidentiel, nos bâtiments tertiaires doivent se réinventer, Il nous faut leur imaginer une seconde vie.

Dans le cadre du projet de la ZAC Victor Hugo à Bagneux, nous avions proposé avec l’aménageur de faire travailler les équipes de promoteurs/architectes sur un certain nombre de thématiques qui deviennent plus que nécessaires au vue du contexte actuel :
– habiter le RdC : développer des espaces communs « partagés » ne nécessitant pas forcément de rapport à l’extérieur important, palliant la compacité des typologies de logement dans la production standardisée et favorisant le développement des
relations humaines à l’échelle d’une même copropriété (laveries, espace bricolage, espace fitness, T1 ou T2 mis à disposition pour la réception d’amis ou de membres de la famille de passage, …) et les services aux habitants (conciergerie, …).

« Les «espaces collectifs privatifs» ne doivent plus être pensés uniquement comme des jardins d’agréments mais doivent être le support de la cohésion sociale […] »

Redonner une qualité de vie aux logements en R.d.C. trop souvent perçus comme étant moins qualitatifs (combiner les qualités fonctionnelles de l’appartement et les qualités spatiales et sensorielles du logement sur cour ou jardin, assurer l’intimité des logements vis à vis de la rue et plus généralement de l’espace public, se protéger des nuisances et profiter du jardin, apporter un maximum de lumière jusqu’au sol et assurer une ventilation naturelle du logement, concevoir des logements en duplex pour une meilleure luminosité, proscrire les logements mono-orientés sur rue, rendre désirable le privilège de vivre en R.d.C., …),

– habiter sa parcelle à 100% : lieu de transition entre espace public et espace privé, les «espaces collectifs privatifs» ne doivent plus être pensés uniqu
ment comme des jardins d’agréments mais ils ont vocation à être le support de la cohésion sociale à l’échelle de l’opération en proposant des usages partagés et propices au développement d’une plus grande convivialité entre les copropriétés. Ces futurs usages doivent être couplés à la notion de sol productif & partagé par le développement d’une agriculture urbaine à l’échelle de la parcelle et/ou du lot (potagers collectifs, espaces de compostage collectif, systèmes de récupération et de stockage des eaux pluviales, …),

– habiter la toiture : souvent reléguée à des usages techniques (récupération des eaux pluviales, édicules techniques divers, …), la toiture est un véritable lieu de tous les possibles. Elle peut abriter des espaces de vie communs propices à la rencontre, la détente et l’usage festif (cuisine d’été collective, espace barbecue, jardins partagés, serres et agriculture urbaines, cours de yoga, terrasse avec vue pour tous, espace lecture et/ou solarium, ping-pong, …). Elle offre également un panorama exceptionnel sur le skyline alentour qui reste souvent trop confidentielle (dans le cas de terrasse privative en étage) voire inutilisé.

– anticiper l’évolutivité : la flexibilité/évolutivité/mutabilité des espaces domestiques (création d’une nouvelle pièce pour accueillir une chambre d’enfant, besoin d’espace pour du télétravail, …), la réflexion sur l’adaptabilité des logements à l’évolution des besoins sociétaux (regroupements familiaux, logements intergénérationnels, collocations de jeunes, mini-crèche avec garde partagée d’enfants, regroupement de personnes âgées ne souhaitant pas vivre en maison de retraite, …).

La conception de nos villes doit également être repensée. Les espaces publics ne doivent plus uniquement être conçus comme des vecteurs de flux (tram, bus, voiture, moto, vélo, piéton) mais retrouver leur fonction de lien social et d’espaces de rencontre pour l’homme mais également de rencontre pour la faune et la flore (ZAN Zéro Artificialisation Nette). Ils devront être pensés en intégrant le coût de gestion dans une logique d’économie réfléchie, garante d’une meilleure pérennité. Un espace public trop couteux à l’entretien perd en qualité à l’usage. Donner plus de place au « laisser-faire » et initiatives locales favorisant une plus grande appropriation des espaces par leurs usagers (principe du bottom-up).

« Pour être résiliente, la ville de demain devra être économe, adaptable, flexible et réversible »

La ville dense doit retrouver des respirations, des horizons dégagés en alternant les hauteurs, en travaillant les quinconces, en offrant un maximum de vues et de lumière depuis les immeubles. Sortir du système des hauteurs maximales autorisées et proposer un principe de hauteur référence avec possibilité de dépassement partiel et d’une hauteur plus basse en contrepartie.

La réglementation française doit également innover pour s’adapter à l’évolution de nos modes de vie. Afin d’éviter de tomber dans l’écueil du tout sécuritaire, encouragé par le contexte sanitaire actuel, Il nous faut limiter l’accumulation des normes afin de permettre des bâtiments plus hybrides sans les contraintes actuelles d’une réglementation qui freine ou gèle toute innovation.

Pour être résiliente, la ville de demain devra être économe, adaptable, flexible et réversible. Mais la difficulté ne réside pas dans la nécessité d’avoir des idées mais de mettre en œuvre un travail d’équipe avec des partenaires  (promoteurs, collectivités, aménageurs, propriétaires fonciers, …) ouverts à la discussion, impliqués et prêts à devenir les acteurs du changement de nos modèles urbains.