Georgina André est chercheuse en géographie. Elle effectue au sein de l’agence une thèse qui porte sur l’aménagement urbain en Chine, en prenant le cas de Wuhan. Sa mission à l’agence, commencée en janvier 2016, s’étale sur 3 ans pendant lesquels elle effectuera de nombreux allers-retours sur le terrain. Nous vous proposons de suivre ses pérégrinations et impressions – dont voici le deuxième billet.

J’ai assisté récemment à la sixième journée de prospective nationale pour la recherche urbaine, dont un des sujets était la détestation de la ville. Il a été notamment évoqué le rapport ambigu entre les milieux urbains, ruraux et naturels : la campagne est historiquement le lieu privilégié de retraite pour les urbains en mal de nature, tandis que la nature en ville permet de rendre la vie en ville plus acceptable… La ville européenne industrielle et polluée, lieu de toutes les perversions est alors le contre-modèle où s’adosse aussi bien le modèle du « township américain » que celui de la cité-jardin d’Howard.Je me suis alors rappelée un travail que j’avais fait l’année dernière qui abordait entre autres le modèle de la cité-jardin à Xi’an. Dans un pays historiquement méfiant de la ville, la cité jardin n’est-elle pas finalement un modèle permettant à la Chine de continuer à être anti-urbaine tout en utilisant le levier de « l’urbanisation généralisée » comme moteur de son développement économique et de son marketing territorial ?La ville est en effet « sous contrôle » en Chine. Sous les différentes dynasties, elle n’existe qu’en tant que représentante d’un pouvoir central, et son organisation est structurée selon une matrice rigoureuse. Cette matrice répartit les grandes fonctions administratives et économiques, et distribue les populations dans des lifang.Quand elle perd cette légitimité donnée par le pouvoir central, elle peut littéralement disparaître, comme en témoigne la destruction de Xi’an après la chute de la dynastie des Tang en 904…Ce contrôle des villes chinoises se prolonge sous la Chine maoïste où l’urbanisation n’est pas reconnue comme objet social, économique ou politique : l’individu est entièrement pris en charge dans une « commune populaire » (en milieu rural) ou une «  unité de travail » (en milieu urbain).  Dans le cas de l’unité de travail, l’entreprise d’état auquel est rattaché l’individu détermine son logement, ses activités, et même son mariage. Les migrations entre le milieu rural et urbain sont aussi strictement réglementées.La période de la réforme et d’ouverture des années 1980 et 1990 n’accorde pas beaucoup plus de statut à la ville : le développement territorial repose largement sur le développement de zones économiques, la ville continuant à susciter la méfiance du pouvoir central « le développement des petites villes et des bourgs organiques est une stratégie importante pour impulser le développement économique et social dans les campagnes. Il (…) évite l’exode rural aveugle vers les métropoles et celui vers les grandes villes » (discours de Jiang Zemin au XVe congrès du Parti Communiste en 1998).

Aujourd’hui, la Chine semble avoir amorcé un virage fondamental : la moitié de la population est urbaine depuis 2010. Du point de vue politique, un plan national d’urbanisation a été lancé en 2014, et du point de vue administratif, les municipalités gagnent en autonomie concernant les stratégies d’aménagement urbain, ceci appuyé par un système de planification urbaine toujours plus robuste.

Mais les modèles urbains qui appuient ces mutations restent ambigus, et la cité jardin « à la chinoise » et ses déclinaisons à différentes échelles est l’une de ces ambiguïtés.

À l’échelle du pays, le modèle de la cité jardin a connu beaucoup d’évolution depuis son apparition au début des années 1990. Dans ses différentes acceptions, il est essentiellement un principe de standardisation permettant à la fois de mettre les différentes villes en compétition pour l’obtention du label de « ville verte », « ville bas carbone » ou « ville éco-cité jardin », mais aussi de faire un effet d’appel pour attirer les investissements et de nouvelles activités économiques pour la ville…en cela, le modèle de la cité-jardin en Chine est peut-être un substitut à la zone économique des années 1990… ce que semblent confirmer les différents projets de villes durables portées par les coopérations bilatérales internationales.

À l’échelle de l’organisation de l’urbanisation, la cité-jardin est explicitement cité comme un contre-modèle à l’étalement urbain incontrôlé permettant d’organiser le développement urbain le long d’un chapelet de villes proches de la nature et de la campagne. Ne retrouvons-nous pas là la méfiance historique pour la grande ville en Chine ?

Et enfin, à l’échelle de la production urbaine, la cité jardin est véritablement un produit urbain « cellulaire » qui renforce le cloisonnement des quartiers sur eux-mêmes. Par exemple, le modèle du jardin d’habitation (huayuan) n’est pas sans rappeler une « gated community » résidentielle. Importé de la région du sud de la Chine du Delta de la Rivière des Perles, ces résidences promeuvent un habitat de faible hauteur entourés de jardin exubérants, de pavillons de luxe et d’un environnement botanique artificiel, souvent sur un terrain de 60 ha et plus.
Succès économique, le jardin d’habitation est isolé du reste de la ville comme le montre le schéma ci-dessous, où la trame viaire de ces résidences est totalement introvertie.

Au fond, est-ce que la ville chinoise ne peut se produire sans référence à un idéal communautariste qui perdure à travers les différentes époques et politiques ? Et face à cette réalité du développement urbain, que voudrait dire une « urbanité » à la chinoise ?