L’aventure d’Arte Charpentier en Chine a commencé par une lente assimilation des concepts et principes de l’architecture chinoise et de l’urbanisme chinois, sur le plan théorique, par la lecture de textes et traités, mais aussi par l’observation sur le terrain des traces de la Chine ancienne, de son patrimoine : des maisons, temples et palais, quartiers et villes à Beijing, Nanjing, Suzhou ou encore Shanghai.

L’architecture chinoise ancienne se caractérise par une très longue tradition, la continuité et la persistance des modèles, par exemple le modèle idéal de la « maison à quatre ailes entourant une cour », le siheyuan, des quartiers anciens de Beijing a persisté pendant plus de 20 siècles et s’est diffusé dans l’ensemble du territoire.

L’architecture en Chine était faite d’ouvrages « de terre et de bois » ; la structure porteuse en bois, qui soutient la charpente de la toiture et les remplissages verticaux, murs et cloisons non porteurs, en terre : pisé ou briques. La tradition de la géomancie chinoise servant à repérer les sites d’implantation des constructions tombes, maisons des morts et maisons des vivants, temples palais ou villes, est à rapprocher de  l’acupuncture, chinoise mettant en œuvre aussi des flux d’énergie qi, mais se diffusant dans la terre « selon les veines du dragon » identifié aux soubresauts des montagnes, nécessitant d’implanter les constructions aux points de concentration de cette énergie xue.

Le choix des sites est donc une affaire importante ayant donné lieu à de très nombreux traités. C’est comme outil du géomancien que s’est développé  l’usage premier de la boussole qui indiquait les orientations favorables à savoir vers le sud. Cette tradition a été largement confortée par les considérations environnementales contemporaines d’apport d’énergie et de lumière naturelles. C’étaient des milliers de spécialistes qui étaient formé à cette pratique et qui exerçaient ce métier. La Révolution culturelle avait rejeté le fengshui comme superstition. Le contact avec le sol qui transmet cette énergie vitale est aussi fondamental et les structures reposent ainsi sur une plateforme, socle sur lequel sont implantés les poteaux.

Très vite la Chine a dû faire face à des pénuries de matériaux et a tenté notamment de limiter l’usage du bois et de le rationaliser par l’élaboration et l’édition  de traités de construction. Le plus célèbre étant le yingzaofashi, publié au début du XIe siècle et réadapté dans des éditions successives rééditées jusqu’au XXe siècle. Cette standardisation de la construction s’accompagnait d’une normalisation des modèles de bâtiments en fonction de la hiérarchisation sociale, définissant ainsi les types et dimensions  des édifices autorisés en fonction de la place occupée dans la hiérarchie, par exemple de trois travées pour une maison ordinaire jusqu’à 11 pour un palais impérial.

La pensée chinoise sur l’architecture est ainsi fortement structurée par, la  normalisation, la standardisation, la hiérarchisation et la modélisation. En retour l’architecture structure aussi la pensée chinoise qui s’applique au territoire, architecturé lui aussi, auquel on assigne des orientations, des axes, des formes et des découpages. A commencer par le territoire de la Chine elle-même, celui de « l’Empire du milieu » zhongguo représenté par un carré transpercé par l’axe central du monde, aussi gnomon qui permet de repérer les orients.

Cette pensée architecturale et urbanistique s’est développée en Chine dès la dynastie des Zhou, il y a 3000 ans, dont le Rituel développe le modèle idéal de capitale ville carrée, enclose de remparts, orientée pour faire face au sud, parcourue par un axe central, nord-sud, sur lequel est installé le palais, et que divisent des axes parallèles et des axes perpendiculaires, dessinant ainsi une ville carrée découpée elle-même en carrés emboités.

C’est ainsi que l’urbanisme chinois a élaboré des modèles conceptuels que les géomanciens se sont efforcés d’implanter dans des sites jugés favorables. Les principes de cette longue tradition de villes nouvelles, conçues pour abriter le siège du pouvoir et contrôler le territoire alentour ont perduré et sont perceptibles encore dans l’urbanisme contemporain.

Nourris de cette culture chinoise, développée aussi aux contacts engagés dès les années 80 avec de nombreux architectes chinois, étudiants, doctorants, chercheurs, professeurs invités, nous avons participé à une coopération initiée par l’Institut Français d’Architecture –IFA- et les Instituts spécialisés du Ministère chinois de la Construction sur la diversification de la construction du logement, que la Révolution Culturelle et l’envoi des architectes à la campagne avait considérablement appauvrie. C’est à Shanghai sur le quartier Qianjiatang, rue Huaihai, dans l’ancienne concession française, que nous avons mené les premiers projets. Mais les incidents de Tiananmen provoquèrent l’arrêt brutal de cette coopération, et c’est à partir de 1993 que nous avons été invités à participer aux premiers concours internationaux lancés pour des grands projets.

C’est cette année-là que nous fûmes lauréats du concours pour un Centre d’exposition à Pudong, finalement pas réalisé, et en 1994 nous remportions le concours pour l’Opéra de Shanghai (1994-1998)…