Luc Delestrade est ingénieur spécialisé en systèmes énergétiques, diplômé de l’école des Mines de Nantes. Après une expérience de 10 ans au Canada, il revient en France en 2011.
En presque 20 ans de carrière, Luc a travaillé dans l’éolien britannique, en tant que responsable R&D d’une start-up pompes à chaleur ; et en tant qu’expert conception durable à Vancouver sur des projets Olympiques, au Canada et à l’international (Dubaï, Philippines, …). En 2008, il créé la société Difference Energy pour accompagner architectes et ingénieurs dans les premières certifications LEED au Canada.
Attiré par cette stimulation intellectuelle de toujours réapprendre selon le climat, la culture architecturale et d’usage, Luc rejoint IES, une entreprise écossaise, leader dans le développement d’outil d’analyse énergétique et de confort, en tant que responsable du développement économique en Europe. Depuis janvier 2020, Luc a rejoint Builders&Partners du groupe Vertical Sea en tant que Directeur Energie afin d’apporter sa vision et expertise de façon transversale.

La collaboration entre Luc Delestrade et Arte Charpentier a commencé sur l’un des 14 marchés actuellement en construction au Bénin, afin de trouver la meilleure solution technique, de confort thermique et acoustique, qui soit adaptée aux marchés Béninois. Luc a, par la suite, réalisé un accompagnement architectural et urbain sur le pôle commercial GMK de Cotonou par des études d’optimisation de ventilation naturelle et d’îlot de chaleur aux abords du pôle commercial.
Au fil de ces collaborations, un échange constructif et stimulant mêlant architecture, énergie et confort s’est mis en place. Des études de faisabilités, des groupes de travail bas carbone, réemploi et des problématiques de R&D sur des îlots de chaleur urbain ont vu le jour.

Evidemment sensible aux questions climatiques, nous avons souhaité avoir son regard sur la COP 26 de Glasgow.

 

Arte Charpentier : Avant d’aller plus loin, peux-tu nous expliquer ce qu’est une COP ?

La COP (Conférence of Parties) est organisée par l’Organisation des Nations Unies pour le climat. La vingt-sixième vient de se tenir à Glasgow du 1er au 13 novembre 2021. C’est l’évènement majeur de ces dernières semaines sur les enjeux climatiques.

Entre déception face à des accords qui ne sont pas assez contraignants, et satisfaction de certains lobbys ou climato-sceptiques, le spectre des réactions est large…

La première COP s’est tenue à Berlin en 1995, mais la première qui a marquée par l’instauration de politique nationale chez les pays signataires est la COP de Kyoto en 1997, dont le protocole a été ratifié par 182 pays sur 192. Le Canada et les Etats-Unis, entre autres, ne l’ont jamais ratifié. Le protocole de Kyoto a pour ambition de réduire des émissions des gaz à effet de serre (GES) de 5,2% entre 2008 et 2012, par rapport au niveau des émissions de 1990.

En France, la signature du protocole s’est traduite par l’entrée en vigueur du décret n°2005-295 du 22 mars 2005. Les GES intègrent le CO2, le méthane, le N2O, HFC et PFC. Les COPs suivantes étaient dédiés à l’ajustement du protocole de Kyoto afin de le rendre réel et applicable.

En 2009, la COP de Copenhague s’est conclue par l’expression de la volonté de limiter le réchauffement climatique à 2°C, sans fixer d’objectifs contraignants…

La seconde COP marquante a eu lieu à Paris en 2015. Elle s’est clôturée avec les accords de Paris, dont le texte fixe l’objectif de limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C, en visant la barre des 1,5°C. L’accord doit être validé par les parlements des pays participants pour entrer en vigueur en 2020. La COP prévoit une augmentation du budget du fonds vert pour le climat, avec un plancher de 100 milliards de dollars par an ; un nouveau plancher sera fixé en 2025. L’un des objectifs du texte est la réorientation de l’économie mondiale vers un modèle bas carbone, ce qui implique un abandon progressif des énergies fossiles.

C’est avec cette situation de coopération mondiale que s’est ouverte la COP 26 à Glasgow.

 

Arte Charpentier : Dans ce contexte, quels sont les engagements pris lors de la COP 26 de Glasgow, qui s’est tenue le mois dernier ?

Pour certains, la COP 26 ressemblait surtout à une vaste foire commerciale avec une présence visible des lobbyistes liés à des entreprises d’énergies fossiles, plus nombreux que les représentants des nations. Selon eux, ce sommet a été utilisé pour assoir une position de politique commerciale mondiale, avec par exemple l’absence de la Chine.

En ce qui concerne les annonces et engagements, le carbone était sur toutes les lèvres et intentions. Avec en particulier, l’affirmation dans le cadre des accords de Paris de l’objectif de neutralité carbone en 2050 – en 2060 pour la Chine, responsable de 28% des émissions mondiales de CO2 et en 2070 pour l’Inde, qui est responsable de 7%.

Evidemment, la question est de savoir si des engagements impliquant deux générations sont plausibles et peuvent avoir des effets concrets, ou s’il s’agit plutôt d’un effet d’annonces…

Les accords de la COP portent aussi sur la solution globale, qui est primordiale. C’est-à-dire l’aide au financement pour les pays en développement, pour qui neutralité carbone rime avec abandon du charbon et donc gros investissements et coûts supérieurs.

On peut être déçu par ces engagements, mais la COP a au moins le mérite d’être cette instance mondiale où peut se tenir un dialogue global et universel, et surtout, se mettre en place une solidarité financière essentielle à la réalisation d’objectifs communs en matière de lutte contre le réchauffement climatique.

 

 

Arte Charpentier : Tu dis que la COP fonctionne, et qu’à tes yeux elle reste pertinente ?

Comme je viens de le dire, on peut être déçu par le manque d’accords sur des mesures fortes, avec des engagements contraignants ; et donc être surpris de ma remarque. Tout comme se pose aussi la question de la pertinence de la COP surtout avec ce village des lobby…. Imaginez le colloque de l’OMS avec un village regroupant les fabricants de cigarettes, d’alcool et d’engrais chimiques…

Stefan Aykut, professeur à l’université de Hambourg, apporte une clarification et vision objective sur les COP et sur leur utilité. « Les COP ne sont qu’une chambre d’enregistrement, une caisse de résonance des débats du monde. De par leur structure, elles ne peuvent pas être à l’avant-garde des débats (…) Elles restent le seul endroit où les pays en développement, les petites îles ou la société civile continuent d’avoir une voix importante, même s’ils n’obtiennent pas forcément gain de cause. » Et juste pour cette universalité, la transparence des débats, le partage des inquiétudes, la demande d’exigences, ces sommets sont importants ; il ne faut pas trop leur en demander.

 

 

Arte Charpentier :  Mais alors « what next » ?

La suite se joue à de multiples niveaux. Les changements viendront des populations ; si la jeunesse est cohérente dans son discours et agit en rapport avec l’inquiétude qu’elle exprime quant à l’état environnemental de la planète, je crois qu’un espoir est possible.

De cet engagement local des populations pour leur santé (impact global des bouleversements de la biodiversité, du climat…) émergeront des actions gouvernementales, mais il faut leur souhaiter un courage politique sans précèdent vis-à-vis des lobbies, de la vision court-termiste, économiste à 5 ans …

Les futurs COP seront là pour valider, accompagner et « ne pas enterrer le sujet ».

Parallèlement à cette volonté démocratique que l’on sent monter, on remarque aussi une lente évolution de l’économie vers une prise en compte des enjeux RSE qui est à souligner. Dans notre secteur, il convient d’encourager un mouvement émergent mais assez puissant dans lequel s’engagent à la fois la maîtrise d’ouvrage et les investisseurs pour des bâtiments plus vertueux ; beaucoup comprennent que les marges financières peuvent parfois être réduites, dans la mesure où les bons projets peuvent créer de la valeur sur une triple échelle : environnementale, sociétale et économique.

Et n’en déplaise à Saint Thomas, même s’il est difficile de les quantifier actuellement, les valeurs sociétales et environnementales sont de plus en plus prises en compte, recherchées et valorisées dans la réalisation de projets ….

Etant de nature sarcastico-optimiste, je suis convaincu que le futur peut être brillant. Le temps est compté mais si l’homme/femme redevient humble dans son positionnement vis-à-vis de la nature et de l’humanité, le « présent de demain » peut être équilibré, tolérant et sain.